Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues ce vendredi 1er mars, avec toujours le même mot d’ordre depuis plus de deux semaines : « non » à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Un président malade et âgé de 81 ans qui cristallise depuis plusieurs jours la colère de la population.
Alger, Oran, Constantine, mais aussi à Tizi-Ouzou, Béjaïa, Annaba, Bouira, Sétif, Batna, Tiaret ou encore Sidi-Bel Abbès… autant de villes qui témoignent de l’ampleur inédite qu’a pris cette mobilisation anti-Bouteflika.
Dans la capitale, les premiers rassemblements ont commencé aux alentours de 14h, après la grande prière du vendredi. Des milliers de personnes se sont réunies dans les rues d’Alger. Un manifestant joint par RFI décrit une véritable marée humaine, une foule scandant les mêmes slogans que ces derniers jours : « Pouvoir assassin ! », « Le peuple veut la chute du régime », « Non au 5e mandat ! », ou encore « On ne va pas s’arrêter ! »
Pendant plus de trois heures, toutes générations confondues, ils ont défilés en chantant. Dans le cortège, il y avait beaucoup de pancartes faites à la main, mais aussi de grandes banderoles imprimées et d’immenses drapeaux algériens. Les manifestants ont par exemple demandé le silence quand ils passaient devant les hôpitaux, ils ont calmé tous les débuts de violence.
Lorsque sur la route du palais du Peuple, les manifestants se sont retrouvés bloqués, la foule est restée calme et a fait en sorte qu’il n’y ait pas de mouvement de foule. Finalement, le cortège a poursuivi vers la présidence de la République sur les hauteurs de la capitale avant d’être immobilisé par les forces de l’ordre qui ont tiré des gaz lacrymogènes.
Alors que les autorités appelaient à être vigilant vis-à-vis des dérapages, la manifestation s’est déroulée globalement dans le calme. Vers 19h, des échauffourées ont éclaté près de la présidence entre des manifestants et la police. Il y a plusieurs blessés et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes. Dans le même temps, la plupart des manifestants rentraient chez eux, provoquant d’énormes embouteillages à la sortie d’Alger.
Mouvement pacifiste
Jusqu’à présent, les forces de l’ordre ont plutôt laissé faire cette mobilisation qui commence à durer, notamment à Alger où les manifestations sont interdites depuis 2001. Aziz Hamdi, manifestant à Alger, sent un vent de changement dans les manifestations : « il y a une ambiance festive. C’est comme si le peuple algérien était déjà en train de célébrer un changement et la récupération de l’espace public ».
D’après les témoignages, les profils des manifestants sont extrêmement variés. Les classes sociales et les tranches d’âges représentées sont très diverses, explique Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme. « le peuple est sorti dans la rue massivement, pacifiquement et de manière organisé. On voit à la place Addis Abeba des centaines de milliers de citoyens de toutes les franges de la population : des femmes, des enfants et des jeunes ».
Pour Khadija Mohsen-Finan, enseignante à la Sorbonne à Paris et collaboratrice du journal Orient XXI, la question est désormais de savoir si la police et l’armée soutiennent toujours entièrement le pouvoir algérien. « Est ce que l’exécutif est sûr que l’armée est de son côté ? Est-ce qu’ils sont sûrs que les forces de l’ordre sont de leur côté ? Ce n’est pas du tout sûr que les troupes dans les différentes villes qui pourraient avoir l’ordre de tirer » le fassent, dans la mesure où les manifestants « sont extrêmement nombreux, calmes et leurs revendications sont comprises » en Algérie comme à l’étranger, avance la chercheuse.
L’opposition rejoint la contestation
Pour l’instant, la classe politique fait corps autour du président Abdelaziz Bouteflika. Mais, il y a quelques membres de l’opposition qui veulent faire entendre leur voix. Une des principales figures de l’opposition algérienne, l’ancien Premier ministre Ali Benflis, s’est rendu aux alentours de 10h30 sur la place Audin en centre-ville. L’opposant, dont on ignore toujours s’il sera candidat ou non à la présidentielle du 18 avril, entendait par ce déplacement témoigner son soutien aux manifestants. « Le peuple algérien dira non à l’humiliation, non aux intimidations, non à la répression, oui à la souveraineté du peuple, non au 5e mandat », a-t-il déclaré devant la presse, selon le site de Jeune Afrique.
Autre personnalité, symbole de la résistance contre l’Algérie française, à avoir participé à cette manifestation : Djamila Bouhierd. Aujourd’hui, la quasi-totalité des figures de l’opposition ont rallié la mobilisation. Un mouvement d’une ampleur inédite né d’appels à manifester spontanés lancés par des anonymes sur les réseaux sociaux. Des réseaux qui sont plus difficilement controlable par les autorités. Et c’est notamment ce qui a permis au mouvement de gagner progressivement de nombreuses villes à travers le pays.
Cette journée de mobilisation intervient à deux jours de la date limite du dépôt des candidatures pour la présidentielle du 18 avril. Pour l’instant, le pouvoir ne fléchit pas. Le Premier ministre a récemment confirmé qu’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, déposerait bien sa candidature pour un 5e mandat.